Sinistrés du feu de forêt #344 - Juin 2023
Presqu’un an jour pour jour après le début du feu de forêt qui a détruit le camp de sa famille, Karine constate encore les effets dévastateurs de ce brasier qui a ravagé plus de 481 000 hectares de forêt et secoué le Nord du Québec au début de l’été 2023 .
Les arbres tombent graduellement dans ce qui reste de la forêt autour du terrain où elle et sa famille ont leur bail aux abords du lac Labrie, à 35 kilomètres de Lebel-sur-Quévillon. Le feu 344 a tout ravagé, brûlant même le humus au sol et rasant plusieurs centaines de camps dans le secteur, dont celui de sa famille.
Florence, la fille de Karine et de son conjoint Jonathan, trébuche et se relève du haut de ses 4 ans, en tentant d’avancer à travers le labyrinthe de bois mort qui jonche le sol et rend le paysage méconnaissable.
« Quand je suis venue pour la première fois en juin cette année [2024], juste en entrant dans le chemin et en voyant tous les arbres brûlés, je pleurais en silence comme une maman sait le faire et Florence m’a dit “Maman, c’est pas ici le chalet, on est perdus”. »
Alors que Karine essayait d’expliquer la situation à sa fille en se faisant rassurante et en tentant de se retrouver dans le chemin qu’elle a pourtant parcouru des centaines de fois, elle était elle-même bouleversée par la destruction de la forêt qui l’a vue grandir. La cicatrice dans le paysage se ressentait jusque dans son corps alors qu’elle laissait les enfants à son conjoint à son arrivée au site de l’ancien camp pour se permettre d’aller pleurer un bon coup et d’encaisser le choc de ne pas reconnaître son chez-soi.
« On sait que c’est chez nous mais ce n’est plus chez nous en même temps. Le paysage est complètement différent. »
Les repères qui rendaient cet environnement cher à Karine ont disparu. De la canopée de bouleaux qui couvrait le chemin l’été aux sentiers de raquette qui sillonnaient la forêt, cet horizon désert qu’elle ne reconnaît plus la rend émotive, car elle a la sensation d’avoir tout perdu.
« C’est peut-être gros mais pour nous ça représentait tout. C’était notre cocon familial, c’était tous les souvenirs qu’on avait. »
Le camp où les trois générations se retrouvaient presque chaque weekend n’est plus là, comme volatilisé. Dans son absence, la mémoire pas si lointaine de la belle vie plane. À défaut de pouvoir retrouver autres choses que des débris, on tente de se remémorer le détail de chaque journée banale comme incroyable qui était documentée dans des agendas laissés sur place depuis les 20 dernières années.
Comment renouer avec la nature et profiter du territoire comme avant dans ce champ de ruines? Malgré le traumatisme dû aux événements et la prise de conscience face à la fragilité du milieu, la famille comme la communauté se tiennent plus serrés que jamais. Karine s’imagine retrouver ses habitudes d’ici 2 à 3 étés dans un camp reconstruit et une forêt où les bleuets auront repoussés. En attendant, tout le monde y met du sien un jour à la fois pour nettoyer et travailler sur la nouvelle structure qui leur permettra de passer du temps de qualité et d’écrire les souvenirs à venir dans de nouveaux agendas.
« Les enfants explorent, font des “soupes de bouette”, mangent des poissons qu’on pêche ensemble et ont la chance d’apprendre à vivre en communion avec la nature. C’est ce que nous on a vécu et c’est ce qu’on veut leur transmettre. »
Dans quelques années, les jeunes pousses du clan de Karine pourront profiter de l’accomplissement du travail de toute la famille en lisant les lignes qui témoigneront des temps durs comme des beaux moments. Dans cette communauté qui se retrouve tranquillement et où les chalets sont plus que des abris, mais plutôt un mode de vie, l’accès à la nature ne sera plus jamais pris pour acquis.
