Jacques : un trappeur ne pouvant plus trapper

Jacques: a trapper who can no longer trap
Sinistrés du feu de forêt #344 - Juin 2023

Jacques habite la forêt boréale depuis sa jeunesse. Il y trappait avant même que les chemins forestiers ne commencent à se perdre à travers les épinettes. Ces routes lui permettent maintenant d’accéder à son terrain de trappe en moins de 30 minutes d’automobile avec toute sa famille contrairement à près de 6 heures de canot et de portages en solo comme il le faisait à l’époque. C’est au cœur de ses 100 kilomètres carrés de liberté qu’il a construit son rêve de p’tit gars : une cabane en bois rond qui verrait plusieurs agrandissements s’ajouter à sa charpente au rythme des générations suivantes. Le 2 juin 2023, Jacques a dû quitter son chalet en après-midi, alors que des cendres commençaient à pleuvoir sur le lac aux abords duquel sa fille avait elle aussi construit son camp de rêve. Le trappeur était loin de se douter que sa forêt et tous les projets qu’il a pris une vie à bâtir partiraient en fumée, arrachant du jour au lendemain les plans futurs et l’accès à la nature de toute la famille.


Le camp que Jacques avait mis près de 40 ans à bâtir et celui de sa fille Anik furent tous les deux rasés. De cet idéal, il ne reste plus que quelques précieuses photos préservées dans une boîte rangée à la maison de Lebel-sur-Quévillon. Guylaine, la douce de Jacques qui a partagé toutes ces années à fabriquer et vivre ce rêve avec lui se rappelle des bons moments qu’ils y ont passés non sans émotion. Innombrables furent les corvées de groupe, les réveillons en famille, les tournois sur la patinoire devant le chalet couronné de trois lucarnes qui permettaient d’écouter le son paisible de la rivière qui coule à côté.


Leur fille Anik a elle aussi le sentiment d’avoir perdu beaucoup plus qu’un toit. Comme beaucoup de Quévillonnais, elle aime sa région pour sa proximité avec le bois et c’est l’habitude de s’y retrouver qui lui manque le plus.

« C’est un mode de vie, ça fait partie de nous. Ça nous permet d’être nous-même, de vivre au rythme de la nature et si on a envie de crier pour écouter notre écho, on peut le faire. »
Pour Jacques, le deuil de ne plus avoir accès à son bois comme avant est vif.
« De venir de passer quasiment un an sans camp, ben c’est l’enfer. »


L’absence est d’autant plus vive alors que la famille s’affaire à ramasser les débris de leur rêve écroulé. Chaque retour au terrain ramène la cruauté du panorama lourdement abîmé, autrefois enchanteur. La scène est brutale, les pertes matérielles incalculables et la forêt blessée. Les souches carbonisées jusqu’aux racines dans le sol minent la motivation de Jacques. Il a toujours fait partie intégrante de cette forêt et sait normalement se faire oublier par les arbres pour vivre en harmonie avec son voisinage.

« Pour moi, voir passer un animal ou un oiseau, peu importe, ça vaut des millions de dollars. C’est ça qui m’a amené ici. »

C’est son camp qui lui a permis de s’enraciner dans ce paysage pour apprécier la richesse du territoire et devenir millionnaire à sa manière. Il se rappelle du premier jour où il a dravé le bois de l’autre côté du lac avec son père pour pouvoir se bâtir une charpente à la méthode scandinave, en sciant ensuite chaque billot à la main pour monter, année après année, un camp digne de ce nom. C’est l’endroit qui lui permettrait de vivre sa passion et de courir le bois qu’il chérit, préparant ses pièges à martres et mijotant ses plans pour déjouer le loup.



Jacques pense qu’il ne pourra pas autant trapper qu’avant. Alors qu’il capturait une vingtaine de martres par année, pendant l’automne suivant l’incendie il n’en a presque pas attrapées et s’est rapidement décidé à arrêter son activité pour permettre à ce carnassier grimpeur, habitant des forêts matures, de se remettre de la tragédie lui aussi. Le trappeur regarde maintenant vers l’avenir, mais reste sur ses gardes.

« Après la catastrophe, là on a peur de la prochaine. Quand tu marches là-dedans on dirait que tu marches dans des corn flakes, c’est pas le temps d’allumer un feu. C’est effrayant de voir ça passer dans les têtes des arbres. Je pense qu’il faut que le monde soit conscient de ça. »

Alors que le trio planifie la reconstruction du camp familial, des jeunes pousses vertes se fraient un chemin à travers l’épaisse suie au sol et on peut entendre la scie opérée par Jacques déchirer le silence, comme quoi la vie reprend au coeur de la forêt malgré les bourrasques qui secouent la cime des épinettes noires.

80%

DES FEUX DE FORÊT SONT CAUSÉS PAR LA NÉGLIGENCE HUMAINE. ÉVITONS LES FEUX ÉVITABLES.

Les feux de camp sont responsables de dizaines d’incendies de forêt chaque année. 80% des feux de forêt sont causés par la négligence humaine. Évitons les feux évitables.

Voici les étapes à respecter pour profiter pleinement de votre feu en toute sécurité :

PRÉPAREZ

un endroit dégagé sur un sol minéral ne contenant aucune matière combustible (feuilles, herbe ou autre).

ALLUMEZ

un feu d’une dimension maximale de 1 mètre sur 1 mètre.

SURVEILLEZ

en tout temps et ayez toujours de l’eau à proximité.

ÉTEIGNEZ

en arrosant abondamment et en mélangeant les braises.

VÉRIFIEZ

qu’il n’y a aucune source de chaleur en touchant les cendres.