En bonne compagnie
Après le brochet d’eau douce et le doré jaune, l’expédition se poursuivit à la recherche d’un autre digne représentant de la région de l’Outaouais : l’ours noir, espèce maintenant fort appréciée des chasseurs québécois. La première expérience de chasse à l’ours noir de Fred débuta ainsi.
Après une séance de pratique de tir et d’apprentissage de la physionomie de l’ours, nous avons opté, Fred et moi, pour un site qui recevait la visite sporadique d’un gros spécimen. Cependant, avant de se rendre au site en question, nous avons laissé notre ami Ben Rochette sur un autre terrain prometteur afin qu’il espionne pour nous avec sa caméra ce qui s’y déroulait en prévision du reste de notre séjour de chasse. Notre première journée prit fin une demi-heure après le coucher du soleil sans avoir aperçu d’ours et dans la quiétude d’un site que nous souhaitions plus populeux pour les prochains jours. Nous avons donc quitté en pickup à travers des chemins forestiers afin d’aller chercher Ben qui se trouvait seul, sans arme, dans la grande noirceur, à proximité d’une passe fréquentée par les bêtes.
Lorsque nous l’avons rejoint, nous avons rapidement constaté que Ben avait hâte de nous voir revenir et son visage en disait long sur le genre de soirée qu’il venait de vivre. Nous avons appris par son langage coloré que notre ami aucunement équipé et encore moins expert sur l’animal a passé la presque totalité de son temps entouré d’au moins six ours !
Il a vu une immense femelle accompagnée de trois grassouillets oursons et deux autres sujets qui, selon lui, pouvaient vraisemblablement être des mâles. Les images qu’il avait captées étaient très révélatrices de la qualité de ce site de chasse et un plan fut aussitôt organisé à cet endroit pour le lendemain, soit le jour marquant le quarantième anniversaire de Fred.
Un cadeau inespéré
De retour tôt en après-midi au site achalandé de la veille, nous avons pris le temps de passer une à une les consignes au sujet des odeurs, des mouvements trop brusques à éviter et, bien évidemment, nous avons discuté du positionnement souhaité et souhaitable de l’ours advenant un tir. Rapidement un premier ours est apparu, puis un second, un troisième et enfin un quatrième : la femelle avec ses trois oursons. Je regardais Fred du coin de l’œil en me disant qu’il vivait tout un spectacle avec des acteurs 100 % sauvages.
Évidemment, il n’était aucunement question de prélever la femelle et nous savions qu’au moins un sujet correspondant à nos attentes fréquentait ce secteur. La forêt est redevenue calme après le départ des quatre ours et nous sommes demeurés aux aguets pendant un moment quand tout à coup, nous avons entendu un petit craquement de branche à notre gauche. L’instant suivant, un bel ours au pelage noir opaque apparut aussi silencieusement qu’un mulot. Je dis à Fred : « Lui, c’en est un beau et il va se placer pour un meilleur tir. » Au même moment, l'ours déroba un morceau d’appât dans sa gueule et il se retira dans la forêt.
Je vais me souvenir longtemps de la mine déconfite de Fred après le départ de l’ours.
« Tu verras, il va revenir sous peu. Ils font souvent ce type de comportement-là avant de revenir plus calmement »
que je lui ai assuré. Il n’a pas eu l’air de me croire, pensant que je voulais simplement l’encourager. Néanmoins, cinq minutes plus tard, le même ours revint en provenance d’une autre direction et là il affichait un comportement plus apaisé si bien qu’au lieu de filer avec un appât, il décida de le manger sur place. J’ai indiqué d’un petit coup de coude à Fred que l’ours se trouvait parfaitement en position pour un tir ; aussitôt le coup de feu retentit. Avant même que l’écho du tir s’évanouisse, l’ours trépassa alors que Fred vivait spontanément toute une gamme d’émotions.
Pour Fred, ce fut une journée parfaite et le soir même un gâteau – gracieuseté de la pourvoirie – lui fut offert pour souligner ses 40 ans et sa capture. C’est autour de la table, dans le rire et la camaraderie que nous avons rendu hommage à cet ours.
Comme la météo du séjour s’avérait encore fort clémente pour le lendemain, nous avons organisé une dernière sortie de pêche au doré, cette fois sur le grand lac Séguin où la majorité des chalets sont situés.
Il n’était pas question de terminer ce séjour fort diversifié sans un succulent shore lunch préparé sur une des nombreuses plages sauvages de l’endroit.
À mes yeux, aucun menu en restauration gastronomique ne peut rivaliser avec du doré et du brochet frais. En dégustant ce repas digne de rois, j’ai regardé Fred qui mouchait au loin les pieds dans l’eau et je me suis dit : « Voilà un gars qui entame sa quarantaine tout en douceur, et avec ce que Mère Nature peut lui offrir de plus beau en termes de cadeaux ! »